Vidéastes, institutions et publics

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Quelles interactions entre vidéastes de sciences et institutions de culture scientifique ? Le regard des uns combiné à l’expertise des autres marque une évolution des pratiques.

Le festival VidéoSciences, qui s’est tenu au Carrefour numérique de la Cité des sciences et de l’industrie les 21 et 22 janvier derniers a été le cadre d’un foisonnement de débats entre vidéastes de sciences, spectateurs avertis et professionnels de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) et de l’audiovisuel1.

Les vidéastes de sciences sont des auteur.e.s de vidéos de vulgarisation scientifique qu’ils diffusent sur leur chaîne, pour la quasi-totalité sur Youtube. Leur mouvement a débuté courant 2012 en France et a pris de l’ampleur dès 2014. Des amateur.trice.s de sciences se sont directement lancé.e.s, tandis que certains blogueur.euse.s, podcasteur.rice.s et dessinateur.rice.s ont rapidement perçu le potentiel du média vidéo et s’en sont emparé.e.s pour diversifier leur offre.

Cette « génération spontanée » de passeurs de culture scientifique fait du bruit et attire les regards, celui des institutions de culture scientifique notamment. La Tronche en Biais, par exemple, a reçu le prix Diderot de l’initiative culturelle en 2016.

Qui sont les vidéastes scientifiques ?

Selon l’étude menée par la vulgarisatrice et vidéaste Tania Louis2, les auteur.e.s francophones ont entre 18 et 35 ans, sont majoritairement salarié.e.s hors CSTI (30%) ou étudiant.e.s (29%), mais aussi en profession libérale (15 %), en doctorat rémunéré (10%), ou en recherche d’emploi (10 %). Seulement 6 % d’entre eux sont salarié.e.s de la CSTI.

Parmi les vidéastes, 2 % vivent de cette activité et 81 % ont un bilan financier négatif ou neutre. Les financements proviennent, pour les plus populaires, de la monétisation de leurs vidéos. Pour la plupart, les ressources proviennent du financement participatif, notamment via la plateforme Tipeee et de partenariats avec des acteurs culturels (réalisation de vidéos, conférences, animation de tables rondes…). Enfin, pour certains, une partie des financements provient de la vente de leurs livres (ExperimentBoy, Florence Porcel, E-Penser, Nota Bene, Mickaël Launay).

Rares sont ceux qui, comme l’Australo-Canadien Dereck Muller, jouissent d’une reconnaissance par les médias traditionnels même si leurs vidéos peuvent dépasser le million de vues (DirtyBiology) ou leur chaîne le million d’abonnés (Dr Nozman). Les programmateurs de télévision suivent de près ces nouveaux contenus et cette nouvelle façon de consommer des vidéos pour faire évoluer les grilles de leurs chaînes et lutter contre la désertion par les jeunes publics.

Les thématiques traitées sont très majoritairement en lien avec le cursus scientifique de chaque vidéaste, issus majoritairement des sciences « dures », même si les sciences humaines sont également représentées, par exemple par Les langues de Cha’. Cependant, les vidéastes peuvent également aborder des sujets de manière transdisciplinaire.

Ces auteur.e.s se définissent soit comme médiateur.rice.s culturel.le.s, soit comme médiateur.rice.s scientifiques, ou encore tout simplement comme vidéastes. Ils se regroupent dans des collectifs ou des associations (Café des sciences, La Vidéothèque d’Alexandrie) et organisent parfois leurs propres événements culturels comme Les Historiques à Montbazon (par NotaBene), Frames à Avignon (par le Fossoyeur de films et Axolot), Lyon Science (par le Café des sciences). Ils apprécient avant  tout la liberté de parole dont ils bénéficient. Les équipes de réalisation étant relativement réduites, les projets aboutissent rapidement à une vidéo prête à être diffusée, dont l’audimat se mesure en nombre de vues et d’abonnés à la chaîne.

Pourquoi ça marche ?

Les auteur.e.s se mettent en scène dans des vidéos d’une durée fréquemment comprise entre 15 et 20 minutes, souvent face caméra, et jonglent avec des plans rapides et dynamiques dans une mise en scène rythmée, se déroulant dans des mondes imaginaires ou très réels.

Ils et elles portent un regard exigeant sur leurs contenus : leur réussite repose sur leur réputation et donc sur leur crédibilité et le sérieux des informations qu’ils diffusent. La question de la validation de leur propos et la citation de leurs sources est un de leurs questionnements récurrents.

S’il est très difficile de distinguer de grandes généralités sur la forme des vidéos tant la diversité des auteur.e.s est grande, tou.te.s créent un univers qui leur est propre et qu’ils incarnent. Il.elle.s font facilement référence à la culture populaire (cinéma, séries, jeux vidéo, …), s’adressent directement au spectateur et utilisent l’humour. Leur finesse de propos et leurs références – qui ne sont pas toujours adaptées aux très jeunes spectateurs – ainsi que les effets visuels qu’ils emploient sont servis par une écriture rigoureuse et une maîtrise du montage. Cela participe à la fidélisation de leurs abonnés et leur permet d’aborder des sujets complexes en créant une vraie proximité avec les spectateurs.

Les auteur.e.s sont très actifs sur les réseaux sociaux et animent leur communauté en faisant vivre l’espace des commentaires laissés par les internautes. Certain.e.s mettent parfois leurs spectateurs à contribution pour décider du sujet de leurs prochaines vidéos.

Des partenariats, ou « collab’ », entre eux sont l’occasion de croiser leurs publics respectifs. Ils n’ont pas tous le même positionnement face aux techniques « marketing » sur Youtube qu’ils connaissent et manient extrêmement bien. Le choix des titres et des vignettes d’illustrations de leurs vidéos (l’image que le spectateur voit avant de lancer une vidéo) sont des points d’attention particuliers.

Leurs communautés sont très impliquées et correspondent souvent à un segment difficile à toucher par les médias et institutions traditionnelles. Ainsi, 50 % de l’audience de DirtyBiology est composée de jeunes de moins de 25 ans. Ces vidéastes sont donc des influenceurs convoités par les institutions culturelles.

Comment les institutions peuvent-elles travailler avec les vidéastes scientifiques ?

À l’occasion d’une des tables rondes du festival VidéoSciences, les vidéastes Kévin Fauvre (Balade Mentale) et Maxime Labat (Lab3) et des acteurs de CSTI (Jean-Philippe Uzan, directeur de recherche au CNRS et directeur adjoint de l’Institut Henri-Poincaré), Robin Jamet (médiateur au Palais de la découverte) et Marion Sabourdy (chargée des nouveaux médias à La Casemate) ont évoqué les interactions entre vidéastes et institutions de culture scientifique.

Trois types de collaborations ont été identifiées :

  • L’accueil dans les locaux d’institutions. Cet accueil adéjà pris deux formes : la mise à disposition de dispositifs ou d’espaces à haute valeur ajoutée, comme certaines salles du Palais de la découverte qui apportent une vraie plus-value au contenu des vidéos. Ou encore l’accueil de vidéastes en résidence, dans des studios d’enregistrement bien équipés, comme l’ont fait La Rotonde (Saint-Etienne) ou l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI), respectivement pour les chaînes Balade Mentale et Lutétium.
  • La commande. Les vidéastes peuvent apporter leur regard et leur style à un contenu d’exposition, comme ce fut le cas avec Lab3 pour « Les dinosaures à plumes » au Muséum de Nantes, ou Axolot pour « Monstru’Eux » au Muséum de Grenoble et à La Casemate. L’institution achète les droits de diffusion aux auteur.e.s d’une vidéo. Si la vidéo est pré- existante, elle peut être sujette à de légères modifications. Dans le cas où elle est spécialement réalisée et si elle respecte la ligne éditoriale des vidéastes, elle peut être directement diffusée sur leur chaîne, permettant ainsi à l’institution de bénéficier d’une forte visibilité.

Le savoir-faire développé par les vidéastes, leur connaissance du monde scientifique et culturel ainsi que leurs publics les amènent à être sollicités comme prestataires pour des actions de communication. Par exemple, l’université de Nantes a mis en valeur ses personnels dans des portraits imaginés par Lab3, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a fait la promotion de la Fête de la science par ce système et Le Louvre a travaillé avec Axolot, Nota Bene et le Fossoyeur de films pour la valorisation de son offre. La diffusion sur les chaînes des auteur.e.s est sujette à contractualisation, et dépend de la ligne éditoriale de celles-ci.

  • La participation à un événement. Les vidéastes sont également sollicités pour participer à des événements comme animateurs de tables rondes (Tania Louis – Biologie Tout Compris – et David Louapre – Science étonnante – au Forum du CNRS 2016 à Lille) ou d’ateliers (atelier d’écriture du Labo des histoires, animé par Florence Porcel en février 2017 à Grenoble). Il.elle.s peuvent également proposer des conférences à propos de leur pratique ou de sujets qu’il.elle.s ont déjà traités (Vulgarizators par l’ENS Lyon, Forum national de la CSTI en 2016 à Nantes).

Le chercheur Jean-Philippe Uzan résume ainsi les échanges possibles entre vidéastes et institutions de CSTI : « les vidéastes ont une liberté de ton associée à un public que les institutions ont du mal à toucher. En contrepartie, les institutions scientifiques et de CSTI bénéficient d’une crédibilité et d’une notoriété ainsi que de moyens techniques, humains et financiers. »

En résumé, les collaborations entre vidéastes et acteurs de CSTI leurs permettent de bénéficier d’un enrichissement réciproque. En apportant leur aide financière ou structurelle à la création en ligne, les institutions bénéficient d’une visibilité auprès du public des vidéastes pour promouvoir leurs lieux et leurs actions et pourquoi pas lancer des débats autour des sciences. Elles peuvent également attirer les amateurs de vidéos de sciences dans leurs lieux en créant des événements qui laissent une grande place aux vulgarisateurs du web. Les techniques et savoirs-faire des vidéastes influencent déjà la façon dont les contenus sont produits et diffusés par les institutions : intégration de la « culture populaire » dans la culture scientifique, travail sur le storytelling, l’animation… La professionnalisation des vidéastes permettrait de faciliter et multiplier ces initiatives. L’évolution des méthodes de travail des institutions vers une prise en compte accrue des spécificités de ces nouveaux collaborateurs permettrait d’augmenter leur attractivité auprès des vidéastes et de leurs publics.

L’articulation de ces deux approches autour de sujets communs est une des clefs de la progression de la CSTI vers une plus grande proximité avec les publics. Dans une société où les modes de consommation des médias et les repères sociaux sont en transition, l’expertise éprouvée des institutions combinée au regard des vidéastes sur la manière de traiter et de diffuser les sujets marquera une évolution de la CSTI.

Pour aller plus loin :

  • Bilan du festival VidéoSciences Par l’agence BigBangScience : goo.gl/CVC1ml
  • Six youtubeurs pour vous réconcilier avec les sciences, par Les Echos Start : goo.gl/9GiwQu
  • 15 chaînes Youtube pour les curieux de sciences, par les Petits Débrouillards : goo.gl/WSbhmb
  • Complotisme : le rempart des Youtubeurs scientifiques Sur France inter : goo.gl/im8j7s
  • Peut-on croire ce que racontent les vulgarisateurs sur YouTube ? Sur Konbini : goo.gl/buA8dJ
  • Chaînes de science sur Youtube : sont-elles un outil de vulgarisation scientifique efficace ? sur Sciences en partage : goo.gl/Xsr1jW

 

  1. Captation vidéo des tables rondes du festival VidéoSciences : goo.gl/o8kbM5
  2. Situation professionnelle des vidéastes vulgarisateurs francophones (Tania Louis, 2016) : goo.gl/8v0Wqy

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