Les acteurs de CSTI face aux menaces sur la biodiversité

[Re]connaissance
Bruno David - © A. Iatzoura - MNHN

Si nos concitoyens doivent comprendre la nature de la menace qui pèse sur la biodiversité actuelle, il leur faut maîtriser quelque peu la question des échelles de temps et d’espace. Si nos concitoyens doivent comprendre comment agir, il faut les acculturer à la question des limites, lesquelles conduisent forcément à une critique du consumérisme et de nos modèles économiques car une vision scientifique du monde réel nous enseigne que rien n’est jamais infini ni illimité. À titre d’exemple, mobilisons ici un principe biologique fondamental : c’est bien parce que la propension des êtres vivants à pulluler se heurte à la finitude des milieux dans lequel ils vivent que la sélection naturelle conduit à un succès reproducteur différentiel. Cette philosophie des limites commence à passer dans les mœurs, et une partie de nos concitoyens changent déjà leur façon de consommer. Revenons donc aux questions d’échelles.

Elles nous perturbent parce que notre perception quotidienne ne reflète pas l’enjeu planétaire global. Les modifications saisonnières (un hiver plus froid par augmentation des amplitudes thermiques) peuvent ne pas refléter les modifications de long terme (un réchauffement global malgré tout). Les changements que nous percevons comme néfastes à l’horizon 2 100 ou 2 200 – avec raison parce que nous perdrons les paysages que nous aimons – ne seront pas ceux à l’horizon de 3 000 ans, et encore moins de 300 000 ans. Le local ne reflète pas partout le global, par exemple en termes de remplacement local de faune par déplacement, en termes de modification des traits de côtes qui s’érodent ici et s’étendent là, ou même en termes d’évolutions climatiques locales. L’un des défis des CCSTI est de jouer avec les échelles temporelles et spatiales, pour donner à comprendre scientifiquement et à étager les enjeux réels.

Ceci est d’autant plus nécessaire que la question des échelles de temps et d’espace nous met en face de nos responsabilités. Pour le dire autrement, il n’existe pas vraiment de « crise de la biodiversité », la formule est trop courte pour être pertinente, mais une « crise de responsabilité » face à la disparition de la biodiversité telle que nous la connaissons. La notion de « crise » mobilise l’idée que cela aurait été mieux avant… Or, d’une part il n’y a pas de temps zéro T0 d’un idéal perdu et d’autre part, la biodiversité ne porte nul jugement sur ce qu’elle était auparavant. C’est la menace qui pèse sur nos besoins de tous ordres (alimentaires, récréatifs, esthétiques…) et ceux de notre descendance qui nous procure un sentiment de crise.

Car la biodiversité, elle, a toujours changé au gré des transformations d’écosystèmes. Un écosystème est un réseau d’interactions entre des êtres vivants, ainsi qu’entre ces derniers et leur milieu inanimé. En somme, la biodiversité constitue « ce qu’il y a », les écosystèmes sont la description de la dynamique de « ce que ça fait », y compris aux niveaux chimique, minéralogique, géologique, climatique, atmosphérique. Si les écosystèmes nous paraissent stables, c’est qu’ils sont l’intrication de relations en équilibre dynamique : ils restent, malgré leur stabilité apparente ponctuée par les saisons, de vastes systèmes de circulation de matière, dotés d’une certaine souplesse de réaction face aux perturbations. Le changement des écosystèmes, progressif ou brutal, n’est pas la disparition de la biodiversité qui ne fait que se déployer sous d’autres formes. Si à court terme, la disparition des organismes de grande taille à l’état sauvage est malheureusement à l’ordre du jour pour le prochain siècle, sur le long terme, la biodiversité rebondira, comme elle l’a toujours fait après chacune des 5 grandes « crises » qui ont ponctué les derniers 550 millions d’années de son histoire.

Toutefois, dire que la biodiversité rebondira à l’horizon de quelques centaines de milliers d’années ne nous déresponsabilise pas sur le court terme, c’est-à-dire vis-à-vis de nos petits-enfants ou arrière-petits-enfants qui vivront dans le dernier tiers de ce siècle : quelle Terre leur laissera-t-on ? À court terme, celui de quelques décennies à quelques siècles, la situation est préoccupante. La biodiversité telle qu’on la connaît va changer, avec la disparition de nombreuses espèces de grande taille à l’état sauvage et d’écosystèmes entiers, en raison de l’exceptionnelle rapidité du changement climatique, de la fragmentation des habitats et du changement d’usage des terres, accompagnée d’épuisement des ressources pour les humains (sols, ressources marines). Elle est préoccupante également parce que l’humanité devra affronter d’autres défis : celui du partage de l’eau, de la pression démographique, de l’alimentation pour tous et celui de la gestion des déchets pérennes (déchets nucléaires par exemple). À moyen terme, celui du millénaire, la biodiversité passera sans doute par un minimum, mais pour se redéployer à l’échelle des centaines de milliers d’années. À l’échelle du million d’années, Homo sapiens aura disparu – c’est une certitude scientifique à laquelle les publics ne sont jamais préparés – et la biodiversité disposera à nouveau d’environ trois milliards d’années d’évolution ponctuée d’épisodes de crises. L’astronomie nous enseigne qu’à l’horizon de quatre milliards d’années, la Terre sera engloutie par le soleil devenu une géante rouge, mais toute forme de vie aura déjà disparu bien avant, compte tenu de l’évaporation des océans et des températures extrêmes. La vie est vieille de 3,8 milliards d’années, et elle est aujourd’hui au mitan de son existence, à moins que des innovations technologiques exceptionnelles nous aient donné les moyens : 1) de trouver des exo-planètes compatibles avec la vie telle qu’elle est sur Terre ; 2) d’avoir les moyens de s’y rendre et d’y importer la vie ; 3) que celle-ci puisse y prospérer de manière pérenne. Tout ceci est extraordinairement peu probable et il faut se préparer à rester sur Terre.

C’est donc un pari de lucidité – scientifiquement fondé – que pourraient faire avantageusement les acteurs des CSTI, pari qui susciterait probablement un pessimisme de court terme et un optimisme de long terme pour ce qui relève de l’avenir de la biodiversité. Pour autant, le pessimisme des constats n’est pas incompatible avec un optimisme de l’action. Les CCSTI portant la culture scientifique et industrielle, ils pourraient mettre l’emphase sur les solutions techniques, économiques et industrielles éco-responsables de tous ordres, favorisant les circuits courts, le recyclage, la compensation écologique, qui sont déjà à l’œuvre, accompagner voire susciter les changements de consommation et, pourquoi pas, jouer le rôle de laboratoires à idées.

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